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Secteur aéronautique : après l’atterrissage à marche forcée, embarquement immédiat pour le monde d’après

Secteur aéronautique : après l’atterrissage à marche forcée, embarquement immédiat pour le monde d’après

Bernard Birchler, Partner en charge du secteur Aerospace & Defense à Paris et Aurélien Fougerard, Principal Aerospace & Defense, Bain & Company

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Secteur aéronautique : après l’atterrissage à marche forcée, embarquement immédiat pour le monde d’après
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En Bref

La propagation de la pandémie du COVID-19 a marqué un coup d’arrêt brutal et sans précédent pour le transport aérien : entre le 7 janvier et 20 avril, le nombre de vols journaliers internationaux a baissé de 87%[1]. L’aéroport de Paris Charles de Gaulle a vu son nombre de vols quotidien divisé quasiment par 10 (de 1 266 à 162); même silence assourdissant à Dubaï qui n’accueille plus que 111 vols, contre encore 1283 le 7 janvier. L’ampleur de la déflagration est historique et telle qu’il faut s’attendre à un impact profond et durable, avec un effet domino sur l’ensemble de la filière aéronautique civile. A la lumière de différents scénarios, quelles perspectives anticiper pour le monde d’après ? Quels facteurs pourraient influer sur la rapidité de la reprise et quelles orientations les dirigeants du secteur peuvent-ils prendre dès aujourd’hui ?

Scénarios de retour à la normale, nouveau paradigme et facteurs de reprise

Les recherches menées par Bain & Company anticipent une baisse du marché du transport aérien de l’ordre de -70% à juin 2020 et entre -40% à -55% sur l’année 2020, sachant qu’il ne faut pas s’attendre à une reprise immédiate, mais probablement en forme de « U », avec un impact durable le transport aérien et un re-décollage à plusieurs vitesses selon types de vols ou la géographie.

Cependant, dans un scénario médian, on observe des disparités dans la reprise à deux niveaux :

  • Des disparités selon le type de vols : la demande domestique repartirait en premier pour retrouver des niveaux pré-crise entre le 2ème semestre 2021 et le 1er semestre 2022, contre un retour à la normale en 2023 ou 2024 pour les vols internationaux

  • Des disparités régionales : l’Amérique Latine et l’Afrique pourraient voir leurs vols internationaux se rétablir au niveau d’avant-crise en 18 à 24 mois, là où l’Europe, l’Asie, l’Amérique du Nord et le Moyen-Orient pourraient, elles, redécoller en 12 mois.

L’effondrement de la demande va bien entendu profondément bouleverser le paysage des compagnies aériennes. On estime qu’entre 5 à 10% des compagnies aériennes pourraient disparaître. Cette vague de liquidations devrait frapper en priorité les petites compagnies asiatiques et européennes, et on estime qu’au total 3 000 avions pourraient être retirés de la flotte mondiale. Avec un modèle fortement dépendant des longs courriers, les grandes compagnies seront quant à elles pour la plupart soutenues par les gouvernements, là où les vols domestiques ou court-courriers, surtout avec un « load factor » faible, seront fortement déficitaires.

L’avenir du secteur aéronautique civil reposant en grande partie sur la reprise du trafic aérien, les compagnies aériennes devront s’adapter à un nouveau paradigme du voyage en avion. En effet, les Etats, les autorités sanitaires et les différents régulateurs vont imposer des contraintes fortes à l’exploitation des avions (« load factors » réduits, mesures d’hygiènes plus strictes à l’embarquement et dans les appareils, etc.) ce qui aura un impact durable sur leur capacité à redevenir profitables. Le paysage aérien pourrait donc se recomposer à la faveur de faillites ou de consolidation autour de 2 typologies de compagnies :

  • Celles qui seront largement financées par les Etats
  • Les compagnies « Low Cost », avecun modèle opérationnel plus performant qui leur permettra sans doute un retour plus rapide à la profitabilité

Du côté des industriels, une vague de consolidations pourrait se mettre en place pour permettre aux acteurs les plus fragiles de survivre, menée soit par les avionneurs, soit par les grands Tier-1 qui pourraient dès lors tirer leur épingle du jeu si leurs liquidités le leur permettent.

Plusieurs « swing factors » pourraient influer dans les semaines et mois à venir sur la rapidité de la reprise mais aussi les recompositions du paysage aérien et industriel :

  • Les politiques différenciées de financement des compagnies aériennes de la part des Etats pourraient favoriser certaines compagnies au détriment d’autres
  • Le prix du pétrole : le kérosène étant le 2ème poste de coût d’opération d’un avion, si celui-ci reste durablement bas, cela pourrait inciter les opérateurs à ralentir le remplacement des plateformes d’ancienne génération, ce qui aurait un impact encore plus lourd sur l’industrie aéronautique ; dans le scénario le plus pessimiste cela pourrait conduire à l’arrêt définitif de certains programmes, comme le 737 Max
  • La vitesse à laquelle les compagnies, les avionneurs mais aussi les gestionnaires d’aéroports seront en mesure de proposer des solutions garantissant la santé des passagers depuis l’entrée dans l’aéroport d’origine jusqu’à la sortie de celui de destination, on voit d’ores et déjà des nouvelles solutions cabine sortir des cartons des équipementiers.
  • La vitesse de remise en service

Un effet domino sur l’intégralité de la filière aéronautique civile

Les compagnies aériennes sont en train d’adopter des mesures drastiques d’optimisation de leur flotte, entre stockage durable, retraits d’avions et décalage de commandes aux avionneurs. Ainsi, 10 à 20% des commandes d’avions pourraient être annulées et les retraits d’avions pourraient concerner 5 à 10% de la flotte de monocouloirs et 10 à 15% de la flotte long-courrier. Les plateformes d’anciennes génération seront les plus impactées (DC-9, MD-80, 747, 757, 767, A300, A310).

La flotte d’avions en service en subira probablement les stigmates jusqu’en 2024 comme le laissent entrevoir les projections ci-dessous :

Cette chute du transport aérien et son impact sur la flotte en service provoquent un effet domino sur l’intégralité de la filière aéronautique, et en particulier sur 3 types d’acteurs : les avionneurs, les sous-traitants et les MRO.

  1. 1er effet sur les avionneurs qui ne peuvent pas arrêter totalement leur production, sous peine de condamner une large partie de leur chaîne d’approvisionnement. Ils vont donc devoir supporter ces décalages entre la demande et l’offre. Ils ont opté pour des réductions de cadence et un ajustement de leurs effectifs de production avec le recours au chômage partiel voire des suppressions d’effectifs
  2. 2ème effet sur les sous-traitants, qui se retrouvent sous très forte tension en particulier les plus petits, après avoir investi ces derniers mois pour augmenter les cadences de production. On voit déjà arriver les premières grosses difficultés chez des fournisseurs en cessation de paiement ou d’autres qui se séparent d’un tiers de leurs effectifs
  3. Enfin, 3ème effet domino sur le marché de la maintenance : avec des avions qui ne volent plus et une flotte réduite durablement, le marché du MRO devrait être divisé par plus de 2 en 2020 et pourrait attendre 2025 avant de retrouver un niveau comparable à 2019.

Quelles orientations peuvent prendre les dirigeants du secteur dès aujourd’hui ?

L’analyse des crises passées a montré que les crises sont propices à l’émergence de nouveaux leaders : les acteurs qui adoptent une attitude offensive et non seulement défensive sont ceux qui arrivent à tirer leur épingle du jeu.

A l'heure où les dirigeants du secteur aéronautique doivent arbitrer chaque jour des dizaines de priorités critiques, les leaders que nous voyons se dégager maîtrisent en parallèle deux registres d’action :

  1. Le premier "Act now", pour protéger les employés et remettre l'entreprise en ordre de marche, avec des mesures à court-terme pour gérer la crise telles que des mesures de restructuration de la base de coûts, la gestion des liquidités…
  2. Le second, "Plan now", vise à déterminer quelles actions défensives et offensives engager pour faire en sorte que l’entreprise ressorte plus forte de la crise et saisisse les opportunités de marché avec :
    • Un ajustement de la vision « core » / « non-core » pour se focaliser sur les activités les plus créatrices de valeur dans le monde d’après
    • Un investissement ciblé sur :
      • Les activités « core » : investissement sur les segments les plus porteurs, recherche active de cibles d’acquisition pour renforcer sa position sur le marché…
      • Des produits/ activités permettant de sortir plus rapidement de la crise (p.ex. solutions cabines limitant les risques de contamination en vol, retrofits ou upgrade accélérés, cabines mixtes passager/cargo…)

Cette crise est à n’en pas douter une épreuve d’une ampleur inédite pour les acteurs du secteur de l’aéronautique civil, dont la survie est en jeu. Mais les industriels, petits ou grands, ont déjà démontré par le passé une énergie, une capacité et des compétences hors du commun pour relever les plus grands défis techniques ou industriels.

Pour aller plus loin sur les stratégies de gestion et de sortie de crise : https://www.bain.com/insights/covid-19-protect-recover-and-retool/

[1] How coronavirus brought aerospace down to earth, Financial Times, APRIL 20 2020

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