Milan, le 18 novembre 2020 – Le secteur des produits de luxe a été frappé de plein fouet par la crise du coronavirus en 2020. Pour la première fois depuis 2009, le marché principal des produits personnels de luxe a enregistré une baisse, c’est-à-dire 23 % de moins à taux de change courants pour tomber à 217 milliards d’euros. Un recul d’une telle importance ne s’était encore jamais produit depuis que Bain & Company suit l’évolution du marché. Le marché du luxe dans son intégralité, incluant les produits et les expériences de luxe, a enregistré le même type de baisse et sa valeur est estimée désormais à environ 1000 milliards d’euros.
L’année 2020 a été marquée par des changements profonds concernant notre manière de vivre et de consommer, et par une remise en question des priorités, et ce au niveau mondial. Les touristes sont restés chez eux et, lorsqu’ils ont acheté des produits de luxe, ils se sont posés de nouvelles questions : comment, quand et pourquoi acheter des produits de luxe ? Les ventes en ligne de produits de luxe se sont envolées et leur part de marché a doublé, passant de 12 % en 2019 à 23 % en 2020. La crise de la Covid-19 pousse l’industrie du luxe à se transformer. Le secteur devrait revenir à son niveau de 2019 d’ici 2022-2023. La demande des consommateurs se fait de plus en plus pressante pour des mesures ayant un véritable impact social, et les marques de luxe sont appelées à présenter des engagements concrets et durables en matière de diversité, d’inclusion et de développement durable.
Ce sont les principales conclusions de la 19e édition de l’étude sur le marché des produits de luxe publiée par Bain & Company et dévoilée aujourd’hui à Milan en collaboration avec la Fondation Altagamma, Association des professionnels du marché du luxe en Italie.
« Nous avons tous été confrontés à une année difficile avec son lot de changements rapides et inattendus, et l’industrie du luxe n’a pas été épargnée », a déclaré Claudia D’Arpizio, associée de Bain & Company et auteure principale de l’étude. « Alors que notre industrie a souffert de l’impossibilité temporaire de voyager dans le monde et des confinements, nous sommes persuadés qu’elle dispose de la résilience nécessaire pour surmonter cette crise. Nous avons foi en sa capacité de transformer ses activités et de redéfinir sa mission pour répondre aux nouvelles exigences des clients et assurer sa pertinence, particulièrement pour les jeunes générations. »
Onde de choc et changements, mais avec une lumière au bout du tunnel
Les prochains mois sont encore incertains pour le secteur du luxe. À la suite du deuxième trimestre, le pire que le secteur ait jamais connu, les signes d’une reprise étaient en vue lors du troisième trimestre. Le quatrième trimestre devrait très probablement se solder par un fléchissement de -10 % par rapport à l’année précédente, ce qui dépendra fortement de l’évolution de la Covid-19 et des restrictions supplémentaires que les différents gouvernements pourraient mettre en place.
Divers scénarios sont envisagés pour 2021 et Bain & Company prévoit une croissance de 10-12 % à 17-19 %, laquelle dépendra des conditions macroéconomiques, de l’évolution de la Covid-19 et de la rapidité à laquelle les voyages internationaux pourront reprendre ainsi que de la résilience et de la confiance des clients locaux.
La baisse du chiffre d’affaires a des conséquences disproportionnées sur la rentabilité. Bain & Company s’attend à ce que les bénéfices diminuent de 60 % en 2020 par rapport à 2019 (c’est-à-dire une rentabilité moyenne de 21 % qui chute à 12 %). D’après l’étude, en 2021, le marché devrait récupérer 50 % de la perte de bénéfices de 2020, ce qui restera en deçà des résultats de 2019. Ceci est motivé par l’exigence de continuer à dépenser et parfois même d’accélérer le rythme des investissements concernant la plupart des éléments de coût (marketing, canaux numériques, coûts des magasins) malgré une dégradation des ventes.
Bain & Company s’attend à ce que la reprise passe à la vitesse supérieure au cours des trois prochaines années et que le marché retrouve les résultats de 2019 d’ici fin 2022, voire 2023.
La tendance vers l’achat local s’accélère, la Chine en tête
Au niveau mondial, la Chine continentale a été la seule région qui a terminé l’année sur une note positive affichant une croissance de 45 % à taux de change courants pour atteindre une taille de 44 milliards d’euros. La consommation locale a rapidement augmenté sur l’ensemble des canaux, catégories, générations et niveaux de prix.
L’Europe, quant à elle, fait les frais de l’effondrement du tourisme international. Alors que la consommation locale tient bon, la consommation totale dans la région a diminué de 36 % à taux de change courants pour tomber à 57 milliards d’euros.
Les répercussions ont été moins fortes sur le continent américain et le marché a accusé un recul de 27 % à taux de change courants pour tomber à 62 milliards d’euros. Aux États-Unis, l’avenir des grands magasins est encore flou et la carte de la consommation de produits de luxe a été redessinée pour s’éloigner des centres-villes.
Le Japon a pu constater des résultats contrastés entre les marques, avec une meilleure résilience de la part de celles jugées indémodables et considérées comme des investissements à long terme. La région a enregistré une baisse de 24 % à taux de change courants et tombe à 18 milliards d’euros en 2020.
Les autres régions d’Asie ont également été aux prises avec des difficultés, et Hong Kong et Macao ont enregistré deux des plus mauvais résultats au niveau mondial. Ces régions ont engrangé un recul de 35 % à taux de change courants et leur valeur chute à 27 milliards d’euros.
L’impact au Moyen-Orient a été atténué, car les confinements y ont été moins longs et les consommateurs se sont remis à dépenser l’argent qu’ils réservaient auparavant à leurs séjours à l’étranger. Cette tendance varie toutefois d’un pays à un autre pour cette région. En Australie, le ralentissement de la consommation engendré par les feux de forêts a été amplifié par le coup d’arrêt du tourisme. Plus globalement, le reste du monde a enregistré une baisse de 21 % à taux de change courants pour tomber à 9 milliards d’euros.
Ces changements régionaux marquent une accélération du rééquilibrage du lieu où les clients achètent les produits de luxe, alors que les touristes doivent désormais privilégier les achats au sein de leurs marchés intérieurs. La part des achats effectués localement a atteint un pic à 80-85 % cette année et Bain & Company pense qu’elle se situera à terme entre 65 % et 70 % alors que l’achat local gagne en pertinence, particulièrement en Chine et en Asie.
Le canal numérique accélère sa croissance tandis que les canaux physiques seront repensés
Les changements provoqués par la crise du coronavirus ont augmenté la présence du numérique dans nos vies quotidiennes. Concernant le marché des produits de luxe, les ventes en ligne ont représenté 49 milliards d’euros en 2020, dépassant ainsi les 33 milliards d’euros atteints en 2019. La part de marché du canal en ligne a doublé, passant de 12 % en 2019 à 23 % en 2020.
Normalement, le numérique devrait devenir le canal principal pour les achats de produits de luxe d’ici à 2025, accélérant ainsi la transformation omnicanale.
Cette augmentation spectaculaire se fait aux dépens des canaux physiques. Selon Bain & Company, le nombre de magasins directement gérés par les marques n’augmentera pas en 2020 et les réseaux de magasins pourraient s’effriter en 2021. Les marques devront adapter le déploiement de leurs réseaux de boutiques à la nouvelle géographie des achats de produits de luxe, faire évoluer le rôle et l’ergonomie des magasins, et maximiser l’expérience client. La vague de transformation ne va pas épargner les réseaux de distribution multi-marques : la diminution du nombre de points de vente, les résultats contrastés et l’arrivée de nouveaux acteurs inciteront les marques de luxe à renforcer leur contrôle sur le canal.
Les expériences de luxe, moteur de la reprise ?
L’ensemble des catégories de produits personnels de luxe ont subi des pertes financières en 2020. Les répercussions pour les chaussures ont pu être atténuées grâce à la forte demande en baskets, engrangeant un recul de seulement 12 % avec 19 milliards d’euros de chiffre d’affaires, tandis que la joaillerie a pu compter sur une demande constante en Asie et a tiré parti des ventes en ligne. Cette catégorie connaît des performances très diverses ; la haute joaillerie et les pièces emblématiques d’entrée de gamme connaissent la meilleure performance.
Les montres et les vêtements ont tous deux accusé un recul de 30 %. En ce qui concerne l’horlogerie, la crise du coronavirus a amplifié les changements déjà importants et durables du modèle de consommation. La demande pour les vêtements habillés a brutalement baissé et les acteurs ont dû faire face à une concurrence grandissante des marques vendant directement aux consommateurs et qui savent faire preuve d’ingéniosité sur les réseaux sociaux.
Toutes catégories confondues, les produits les plus abordables, dits d’entrée de gamme, ont vu leur demande s’accroître et ont atteint plus de 50 % du volume vendu en 2020. Dans cette quête de pertinence en matière de prix, les règles du jeu et les modèles économiques évoluent et transforment le luxe accessible. A celle-ci s'ajoute une concurrence accrue de la part de nouvelles petites marques innovantes ; ces dernières s'engagent sur le terrain inspirant du développement durable et adoptent des modèles économiques pertinents pour les consommateurs d'aujourd'hui.
Pour ce qui concerne le marché du luxe de manière plus globale, les expériences de luxe (dans lesquelles Bain & Company inclut les beaux-arts, les voitures de luxe, les jets privés et les yachts, les vins et spiritueux, et la gastronomie) sont censées se relever plus rapidement que les produits de luxe, même si elles vont accuser un retard dans la reprise car elles dépendent fortement du tourisme.
Des préoccupations sociales en hausse chez les consommateurs
Outre le développement durable et les questions environnementales, la diversité et l’inclusion sont passées au premier plan en 2020. Pour les plus jeunes générations, qui devraient porter 180 % de la croissance du marché entre 2019 et 2025, le combat contre l’injustice sociale et raciale revêt une importance inédite. Ces consommateurs « militants » sont à la recherche de marques en adéquation avec leur vision et leur quête de sens.
« Les marques de luxe ont dû affronter une année jalonnée de changements considérables, mais nous sommes persuadés que l’industrie du luxe sortira de cette crise avec plus de détermination et de dynamisme que jamais auparavant », a déclaré Federica Levato, associée de Bain & Company et coauteure de l’étude. « D’ici à 2030, le secteur aura subi des transformations considérables. Nous ne parlerons plus de l’industrie du luxe, mais bien du marché de l’excellence culturelle et créative. Dans ce nouveau cadre élargi, les marques gagnantes seront celles qui iront de l’avant en s’appuyant sur leur excellence déjà existante, tout en réimaginant le futur avec un état d’esprit innovant. Les acteurs du secteur du luxe devront se montrer audacieux pour réinventer les règles du jeu »
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